Ce vendredi 10 mai 2013, la France a célébré la Journée Nationale des Mémoires de la Traite, de l’Esclavage et de leurs abolitions. À cette occasion, le président François Hollande a prononcé au Jardin du Luxembourg à Paris un discours pour marquer l’évènement.
Après avoir rappelé que depuis la Loi Taubira (du nom de l’actuelle Garde des Sceaux, ministre de la Justice) adoptée par le Sénat le 10 mai 2001, « la République reconnaissait la réalité de l’esclavage et la considérait comme un crime contre l’humanité », le président Hollande a précisé qu’il a « tenu le 12 octobre 2012 à rendre hommage à ces victimes sur l’Ile de Gorée, à la Maison des Esclaves ». Il s’est, dit-il, « incliné au nom de la France, en souvenir de ces êtres humains qui entendaient le rester face à ceux qui ne l’étaient déjà plus. »
Il est clair que depuis quelques années, les Autorités françaises ont pris la mesure de l’urgence du devoir de mémoire en ce qui concerne la Traite négrière et l’esclavage des populations noires. La loi Taubira, la Journée dédiée depuis 2006, la présence des plus hautes autorités (Chirac, Sarkozy et Hollande se sont tous rendus aux cérémonies organisées ces dernières années) en témoignent. C’est important. Mais en ce vendredi 10 mai 2013, où en sommes-nous ? Où en sont les Noirs ? Que sont devenus les descendants de ceux qui ont été réduits à l’état de bêtes de somme ? Que sont devenus les descendants de ceux, Noirs aussi, qui ont vendu aux esclavagistes leurs frères et sœurs ? Quelle est la place de l’Homme noir aujourd’hui sur cette Terre que nous partageons avec d’autres ? Avons-nous prolongé le combat des Césaire, Senghor, Gontran-Damas, Alioune Diop et d’autres ?
Que de questions me direz-vous ! Certes. Mais, me semble-t-il, quand on se remémore des périodes aussi douloureuses que cet ignoble commerce qu’a été la Traite Négrière, il faut que cela serve à avancer. Et à avancer vers la lumière, non vers les ténèbres. Alors posons-nous toutes ces questions. Quitte à ne pas trouver les bonnes réponses dans l’immédiat. Il sera toujours temps. La traite a duré quelques siècles. Alors pour les réponses, ne soyons pas trop pressés !
Même si les réponses sont loin d’être simples, un constat s’impose : le présent de l’Homme noir n’est pas brillant. Et c’est un euphémisme ! Son avenir le sera-t-il ? J’ai envie de dire : cela dépendra de lui ! En effet, même si son histoire ne peut laisser indemne, il n’a pas le choix : une révolution culturelle, afin de se débarrasser définitivement d’une certaine mentalité, s’impose.
Je parle de révolution culturelle parce que, me semble-t-il, la Traite et l’autre cauchemar qui a suivi, la colonisation du continent noir, ont laissé durablement dans la tête des protagonistes (Blancs d’un côté et Noirs de l’autre) des complexes qui ont des conséquences encore aujourd’hui. Le président Hollande a dit, lors de son discours du vendredi 10 mai 2013 : « si l’esclavage a disparu en France, la haine, le mépris qui l’ont rendu possible, sont, eux, toujours là ! » et d’ajouter, citant Aimé Césaire : « le racisme est là. Il n’est pas mort ». Oui, la bête immonde bouge encore.
En effet, pourquoi le racisme perdure ? Pourquoi la haine liée à la couleur de la peau va jusqu’à tuer ? Pas seulement parce que l’immigré noir vient « enlever le pain de la bouche » du pauvre Blanc qui a travaillé si dur pour offrir une vie descente à ses enfants. C’est tellement réducteur ! Non il me semble qu’il y a des raisons plus profondes. Il faut remonter quelques siècles en arrière.
La première chose que fait l’esclavagiste en réduisant l’homme noir à l’état d’esclave, c’est d’abord de lui nier toute humanité. C’est indispensable pour lui. Parce qu’il est impossible de traiter un être humain comme a été traité l’homme noir si on lui reconnaît la moindre part d’humanité. Alors on le nie en tant qu’être humain. On le ravale au rang d’animal, de bête sauvage qu’on a apprivoisée. Alors c’est plus facile. Plus facile de le soupeser, de lui ouvrir la bouche pour regarder sa dentition. Plus facile d’examiner les « femelles » pour savoir si l’on peut être optimiste quant à leur capacité de produire beaucoup de « négrillons ». Plus facile de sélectionner des reproducteurs pour étoffer le troupeau. Oui, c’est plus facile quand on nie l’humanité du Noir.
Et cela laisse des traces dans les têtes. Des deux côtés. Le vaincu, le Noir, mettra du temps à se débarrasser de sa condition de dominé, de terrassé, de battu. Il sait qu’il a été asservi. Euh… pas lui, son arrière-grand-père. Mais c’est tout comme. Par moment, il pense même que cela peut recommencer. D’ailleurs, l’affaire dite des « enfants réunionnais de la Creuse » peut participer de cette inquiétude. Ce qu’il voit aujourd’hui ne le rassure pas. Les siens, non plus, ne le rassurent pas.
Le vainqueur, le Blanc, lui n’a aucun doute. Il est le plus fort. Il a gagné sur toute la ligne. Il a écrasé l’autre, il l’a réduit au silence, à l’obéissance. Il l’a asservi. Et quand il a fini, il lui a pris ces ressources minières, alimentaires etc. Il est sûr de sa force. Et il lui est difficile d’admettre que l’autre, en face, est son égal. La question de l’altérité se pose…
Nous sommes en mai 2013. Au 21ème siècle. Et ce que je décris plus haut vous semble à jamais révolu. Et pourtant…
Si aujourd’hui, il ne vient à l’esprit d’aucun être humain responsable de défendre la supériorité d’un groupe humain sur un autre, il faut malheureusement constater que les « damnés de la terre », comme les appelait Frantz Fanon, sont surreprésentés dans la population noire. Les victimes d’actes racistes sont légions dans les communautés noires. Et partout sur cette terre. Et je prétends que les passages à l’acte trouvent leur origine dans le type de complexe de supériorité et d’infériorité que je décrivais plus haut. Parce que, j’en ai la conviction, certains esprits simples, ont encore cette vision caricaturale de leur supériorité supposée. Sinon pourquoi dans certains pays du Maghreb, la seule vue d’un Noir sur le trottoir d’en face fait que certaines personnes crachent par terre ? De dégoût ? Pourquoi, en Russie, de jeunes Noirs se font tirer comme des lapins ? Pourquoi certains « supporters » italiens de football poussent des cris de singe lorsqu’un joueur noir a le ballon ? Pourquoi dans cette même Italie, la nomination au gouvernement Letta d’une femme noire, Mme Cécile Kyenge, libère une parole haineuse et inacceptable ? Pourquoi, en France, certains hommes politiques d’envergure nationale ont expliqué tranquillement que l’intégration des étrangers marchait tant que c’était des Espagnols, des Italiens ou des Polonais (alors qu’ils ont été traités de Ritals et de Polaks par certains) qui étaient les immigrés et que la machine s’est grippée quand il a fallu accueillir des « non européens » (suivez mon regard) avec l’approbation d’une partie non négligeable de la population ? Il me semble que si nous assistons à tout cela, c’est que quelque part les horreurs passées ont laissé des traces durables et néfastes. Et pas que chez les bourreaux. Aujourd’hui, certains Africains sont convaincus que le continent noir ne se sortira jamais de son état d’indigence actuel. Il faut combattre cela. Vigoureusement. D’autant plus vigoureusement que ce désespoir pousse aux pires extrémités la partie la plus prometteuse de l’Afrique : sa jeunesse. Et cela se fait par l’Éducation. « Décoloniser les esprits » disait quelqu’un. Moi j’ajouterai « redonner confiance et détermination, fierté et ambition ». Osons penser au meilleur, bannissons le pire de nos esprits. Apprenons au plus grand nombre d’enfants à considérer l’autre comme eux-mêmes. On ne naît pas raciste, on le devient.
Oui, une révolution culturelle, celle des mentalités est nécessaire. Pour se débarrasser des complexes hérités de cette horrible phase de l’évolution humaine qu’ont été la Traite négrière et l’esclavage. Chacun d’entre nous doit y contribuer. Que l’on soit Noir, Blanc ou autre. C’est indispensable. Je n’ai pas beaucoup de certitudes sur l’humanité, mais il y en a une qui s’impose à moi : nous sommes condamnés à vivre ensemble. Alors faisons tout pour que ce vivre-ensemble soit le plus agréable possible et le plus bénéfique pour tous.