Ce dimanche 15 décembre 2013, Nelson Mandela a rejoint sa dernière demeure. Mettant un terme à une existence exceptionnelle sur cette terre. Nous l’oublions parfois, mais la vie – la sienne comme la nôtre – a un début, un déroulement et une fin. Et le plus important, à mon humble avis, c’est ce que nous mettons entre ce début et cette fin. Ce que nous faisons de ce temps qui nous est offert sur cette terre. Et dans le cas de Mandela, entre le début et la fin, la vie a été pleine. Pleine d’actes de courage, de gestes empreints d’humanité et de grandeur d’âme, de détermination, bref une vie pleine de leçons de vie.
L’immense émotion qui a traversé la planète entière depuis l’annonce de son décès, ce jeudi 5 décembre 2013, à elle seule, montre à quel point cet homme a marqué notre époque, notre monde. Et en premier lieu, l’Afrique, le continent qui l’a vu naître et qui abrite sa dernière demeure. Sa vie a été l’expression de ce que ce continent a pu offrir de meilleur au monde. Les Africains sauront-ils faire fructifier son héritage ? Sauront-ils faire profiter les générations futures des leçons de cette vie hors normes ? Il me semble que tout doit être fait pour que dans quelques décennies, nous puissions dire : oui, ils ont su !
Juste après sa sortie de prison le 11 février 1990, il prononça ces mots : « Je me tiens ici devant vous, non comme un prophète, mais en humble serviteur ». L’homme avait pris conscience de la dimension dans laquelle il pénétrait : celle des femmes et des hommes d’exception. Cette dimension qui fait que pour les autres humains, vous devenez plus qu’un simple homme. Alors même que vous avez encore plus conscience de votre condition humaine, de ses insuffisances et de ses limites. En prononçant cette petite phrase, Nelson Mandela nous disait, en peu de mots, beaucoup de choses.
D’abord l’exhortation à la modestie et à l’humilité. Une leçon qui doit être méditée par bon nombre de dirigeants africains pour qui le pouvoir est un moyen de dominer l’autre, de soumettre tous ceux qui ne pensent pas comme eux, d’écraser toute tentative de contestation de leur autorité, quitte à utiliser toute la puissance de l’État. Ce qui conduit irrémédiablement à un culte de la personne que des cercles de courtisans parasites s’évertuent à perpétuer. Jusqu’à l’ubuesque, jusqu’à la nausée.
Ensuite la détermination à servir ses concitoyens. Cela n’a pas été qu’une simple proclamation. Nous avons été les témoins de son application. Combien de fois le président Mandela s’est rendu auprès du citoyen lambda pour partager sa peine, pour se renseigner sur ses besoins, pour donner un conseil, pour soutenir un projet etc. Un épisode de cette attitude peu commune chez un chef d’État a été porté à l’écran par Clint Eastwood dans « Invictus ». Ce film nous montre comment le président Mandela a, en s’impliquant dans la préparation mentale de l’équipe sud-africaine de Rugby jusqu’à son titre de championne du monde de Rugby, retourné complètement la population blanche de son pays. Ces femmes et ces hommes qui, dans l’Afrique du Sud post Apartheid, ont eu la tentation du repli sur soi venaient d’être convaincus qu’ils avaient un défenseur. L’homme le plus puissant du pays était avec eux. Ils s’étaient trouvé un protecteur. Les Noirs se sont mis à aimer leur équipe nationale de Rugby qu’ils ont considérée pendant des décennies comme l’équipe des Blancs. La communion nationale a fait tomber les barrières, fait disparaître les peurs. On pouvait enfin être fier les uns des autres qu’on soit Blanc ou Noir. Et tout cela parce qu’il a décidé de créer une réelle proximité avec les Sud-Africains. Vécue en tant que telle par des milliers de personnes.
Oui, il a été au service de ses concitoyens, à leurs côtés, leur « humble serviteur » comme il disait. Jusque dans des moments qui ont pu étonner ailleurs. On pourrait multiplier les exemples. Mais ce n’est pas le lieu. Ces concitoyens, avant le reste du monde, lui ont déjà reconnu le rôle de Serviteur de la Nation.
« Humble serviteur » disait-il. Y en a-t-il beaucoup d’humbles serviteurs parmi les leaders africains ? Je vois d’ici le sourire moqueur de certains d’entre vous. Je vous comprends presque. Tellement le continent compte de dirigeants qui ne servent que leurs intérêts propres ainsi que ceux des leurs. Ce faisant, ils ont conduit l’un des continents les plus riches à la ruine. Menant les Africains de désastre en désastre. Conduisant ses filles et fils les plus valeureux à chercher une vie meilleure ailleurs, privant la terre d’Afrique d’une partie de sa substance. Exposant ces jeunes Africains échoués sur le continent européen à la vindicte et à la violence des extrémistes de tous bords.
Vous l’avez compris, le chemin sera semé d’embûches avant que l’on puisse dire « les Africains ont su faire fructifier l’héritage de Nelson Mandela ». Cependant, je fais partie de ces optimistes qui croient que le Temps de l’Afrique est proche. Parce que la souffrance collective a assez duré. Les comportements déviants de ses dirigeants ne seront plus tolérés. Le Sénégal en a donné un avant-goût il y a peu par l’irruption de sa société civile et de sa jeunesse dans l’arène politique pour éviter une manipulation de la Constitution. Les nouvelles technologies offrent des raccourcis formidables pour rattraper le retard dans ce domaine. Les esprits sont prêts pour vivre autre chose.
Enfin, il y a une graine que Mandela a semée dans le cœur de beaucoup d’Africains : la fierté d’être Africains. Et ce n’est pas rien ! Leur continent a donné naissance à une icône planétaire. L’Afrique a offert au monde un modèle. Elle est devenue source d’inspiration pour les autres humains. Pour le meilleur. Et la fierté est un levier d’une puissance insoupçonnée. Alors, oui, il y a des raisons d’être optimiste pour l’avenir de l’Afrique. La vie exceptionnelle de Nelson Mandela sera à jamais une source d’inspiration pour son continent. Mais pas seulement.